La semaine passée, l’émission « complément d’enquête » s’est engagée sur le thème « Quand le travail tue ».
Selon son positionnement et son point de vue, nous avons toutes et tous un avis sur ce sujet : les accidents du travail déclarés sont-ils le reflet de la réalité ? les accidents mortels sont-ils considérés comme ils le devraient ?
Quels sont les données des accidents mortels au travail en France ?
En France, les dernières données communiquées sont celles de 2021.
645 décès par accidents liés au travail ont été comptabilisés, ils se répartissent ainsi :
- 88 décès routiers
- 361 décès par malaises
- 38 décès suicides
- 158 décès non routiers (autres risques, chute, risque électrique, …)
(données issues du rapport annuel 2021 de l’assurance maladie – risques professionnels).
Ces événements sont ceux reconnus comme « Accidents du Travail », il faut y ajouter 240 accidents mortels de trajets et 279 décès suite à « Maladie professionnelles ». Pour cette dernière, la cause première reste l’amiante et ses expositions passées.
Si les accidents diminuent en nombre sur les 5 dernières années, leur gravité augmente proportionnellement.
Entre 2017 et 2021, nous constatons 30.000 accidents du travail avec arrêt en moins (passage de 633.496 à 604.565 accidents du travail avec arrêt) tout en ayant une augmentation de près de 20% des jours d’arrêt sur la même période (2017 : 41.760.116 jours perdus / 2021 : 48.518.135 jours).
Sur ce reportage, les « faits », c’est-à-dire la communication des véritables données, ne sont pas transmis dans leur intégralité.
Le cas du chantier et de la sous-traitance
Ce reportage, plutôt qu’avoir une approche globale du risque et des accidents, s’arrête sur des cas particuliers. On évoque deux types de chantiers : le premier étant le grand Paris et le second un chantier géré en cascades de sous-traitances.
On pointe du doigt, dans ces cas, également des entreprises bien connues nationalement voire au-delà.
La sous-traitance est une réalité largement répandue et sans doute plus dans le domaine des chantiers que dans d’autres domaines, toutefois, nous vous proposerons un parallèle qui pourrait servir d’exemple.
La sous-traitance de chantier se trouve autant dans la construction que lors des arrêts techniques. Des modèles, en matière de sécurité, se sont même montés pour améliorer / traiter les sujets de prévention des risques.
L’OPPBTP a été créé pour « gérer » les sujets de prévention dans les opérations de BTP. Les conditions de travail se sont grandement améliorées, on peut toutefois rester circonspect sur le besoin de conserver des instances différenciées entre les corps de métiers, le métier de coordinateur SPS est également un cas particulier, qui, pour celles et ceux qui gèrent des chantiers est trop souvent inefficace.
Dans le domaine de la pétrochimie et des arrêts techniques complexes qui s’y organisent, les entreprises sous-traitantes doivent être certifiées « MASE » (https://mase-asso.fr/qui-sommes-nous/). Pour autant, on constate parfois une véritable perte d’expertise chez le donneur d’ordre qui se limite à évoquer le travail prescrit avec une perte de compétence et de connaissance sur le travail réel (certaines interventions d’entretien / maintenance ne sont plus maîtrisées depuis de trop nombreuses années). Et comme pour toute démarche louable, des dérives peuvent s’installer sur la pression au « zéro accident » avec des événements qui sont parfois sous-estimés voire cachées même si cela doit rester une exception.
L’accident relaté en seconde partie sur une cascade de sous-traitance dans le domaine de la fibre n’est pas étonnant pas plus sur le fond que la forme. Elu local et interlocuteur pour mon EPCI sur ce sujet, le constat est sans appel sur le sentiment de désorganisation entre les équipes donneuses d’ordre sur la réalité du travail et le travail réel.
Je vous reroute vers une expérience récente en lien avec des très grandes entreprises françaises qui exemplaires en façades ne se soucient que très peu des interventions au sein de leurs établissements.
Je suis en partie convaincu que les équipes corporate, inflexibles sur ces sujets, n’ont néanmoins qu’une vision très parcellaire des engagements qu’ils prennent et des conséquences au quotidien dans le travail réel, en proximité du terrain .
A l’instar de ce qui s’engage dans le domaine de la formation à travers le CPF ou la formation des élus voire plus largement demain vers les entreprises Qualiopi, il pourra être interdit de sous-traiter au-delà d’un rang… Autant dire que le changement va être important. Il a été estimé que pour prendre un « chantier » de formation, il fallait avant tout être compétent pour le mener. La sous-traitance s’éloignant de l’expression des besoins et de la réalité du stagiaire, elle devait se limiter à un niveau. Cela pourrait être une voie, a minima, pour les appels d’offre public et inciter à montrer l’exemple au niveau de l’État et des collectivités.
La responsabilité de l’entreprise vs celle du salarié (dans le cas d’un accident mortel)
La définition française de la sécurité sociale concernant les accidents laisse une trop grande place à tout événement survenant au temps et au lieu du travail. Aussi, notre sinistralité semble être la plus importante au niveau international. Nous pouvons écrire sans détour « semble » car, et je l’ai déjà expliqué, il y a un véritable fossé entre les législations y compris au sein de l’Europe. Je ne juge pas notre système mais la comparaison à d’autres pays qui peut en être faite.
Je m’inquiète également des comparaisons (sans raison) qui sont réalisées par les équipes de direction des groupes internationaux où la France apparaît presque toujours comme le mauvais élève (avec les dérives qui peuvent s’installer => la chasse au zéro accident à tout prix !).
Nous pouvons chercher, la France est le seul pays avec plus de la moitié des accidents du travail mortels qualifiés comme malaises ! (361 sur 645 soit 56%).
Passé ce point, la justice tente de faire son travail et c’est peut-être la seule partie que j’ai trouvée objective dans ce reportage grâce au témoignage du juge d’instruction. La justice ne semble pas plus malade pour les accidents du travail que pour les autres infractions ou délits…
Quant à considérer qu’un « accidenté mortel » pouvait être responsable de sa mort et que son comportement pouvait en être la cause… humainement j’ai quelques difficultés. Juridiquement c’est bien évidemment tenable et c’est là toute la difficulté pour des familles en deuil. Le juridique n’est pas l’affect, il n’est pas, non plus, l’expression de l’émotion.
Il me semble également que dissocier l’entreprise de son employé revient à rompre, en partie, le lien contractuel… pourquoi n’avoir pas stoppé le contrat plus tôt si le comportement ne correspondait pas à nos règles d’entreprise… (je vais un peu loin, mais c’est aussi mon rôle).
Le juridique se joue également au quotidien dans les entreprises françaises où, même l’Etat et les syndicats préfèrent compenser le travail pénible par du temps ou de l’argent plutôt que prévenir. Qui devient responsable lorsque au-delà du discours syndical entendu dans le reportage, la réalité des syndicats de salariés et de dirigeants préfèrent la réparation ou la compensation à la prévention lorsqu’il est question d’usure…
Quels rôles pour nos institutions de contrôle et de prévention ?
CARSAT, OPPBTP, Inspection du travail à mettre dans un même panier ? je ne suis pas certain de vouloir revenir sur ce sujet tant il m’a animé après le rapport Lecocq de 2018. Je l’ai repris au moment du rapport de la cour des comptes de décembre 2022.
La présence terrain est indispensable pour chacun de ces organismes avec un véritable pouvoir d’incitation à la prévention plus qu’un pouvoir de sanction.
Une entreprise lambda ne sait pas vers qui se tourner pour agir en prévention en dehors des consultants et entreprises spécialisées. Un dirigeant fait plus confiance à l’APAVE ou Bureau Véritas qu’à la CARSAT ou aux IRP des services de prévention et de santé au travail pour progresser. Pourtant, cette même entreprise paie déjà les seconds…
Les plans régionaux de santé au travail sont inconnus alors qu’ils drainent des compétences et un temps phénoménal…
En quelques mots, mon avis est que l’organisation de la prévention des risques professionnels en France se trompe de cible. Elle passe trop son temps en réunions et commissions plutôt que sur le travail réel.
Nous avons de très nombreuses lois et règles. Je propose que nous appuyons sur « STOP » pour orienter toutes les forces compétentes vers la réalité et l’accompagnement plus que le contrôle en prévention.
Ce reportage n’est donc a mes yeux que pur sensationnel sans considération du travail réel. J’ai apprécié néanmoins les échanges entre l’inspecteur de la région de Bayonne. Les visites sur chantier et en entreprise de menuiserie/charpente sont pratiquées sur un ton positif à l’opposé de l’image usuelle transmise de l’inspecteur du Travail.
L’interview des 15 dernières minutes n’apporte rien…ou alors il manque l’expression d’un dirigeant affilié à une organisation syndicale également pour évoquer le sujet en comparaison de point de vue.
Jérôme