les risques professionnels en France

Rapport de la cour des comptes de décembre 2022

La cour des comptes a sorti un rapport public en décembre 2022 portant sur  « les politiques publiques de prévention en santé au travail dans les entreprises »

Un nouveau rapport sur l’état du système de prévention des risques professionnels en France. Il a été émis par la cour des comptes en décembre 2022.

La prévention des risques professionnels est basée sur un système de relation assurantielle entre les entreprises et la sécurité sociale. A la base (régime général), la CRAM, désormais CARSAT en lien avec la CPAM gérait de manière quasi exclusive le couple [assurance ; prévention] auprès des entreprises.

Puis les acteurs se sont élargis pour compléter l’action de prévention au niveau national avec une évolution fondamentale au plus près du terrain. La médecine du travail des années 80 a souhaité se transformer en service de prévention et de santé au travail mais sans changer son image. C’est ainsi que l’on se retrouve en France avec une multitude d’acteurs autour des sujets de prévention des risques professionnels.

Tantôt l’ANSES, tantôt l’INRS, parfois l’INERIS et encore l’ARS voire l’ANACT peuvent intervenir sur un champ de compétence (en prévention) qui leur semble légitime.

A trop vouloir en faire on se disperse et c’est le constat que fait la cour des comptes aujourd’hui, entre autres éléments.

L’objectif de cette publication n’est pas de paraphraser un rapport de qualité mais de réaliser un parallèle avec un vécu, mon vécu et la réalité des entreprises au quotidien sur quelques points spécifiques.

Je vais vous lister quelques éléments recueillis au fil de la lecture. C’est incomplet et je vous invite à prendre connaissance du rapport et/ou de sa synthèse :

je vous invite à lire a minima la synthèse qui est suffisante pour qui voudra découvrir les éléments importants de ce rapport. Vous verrez que les sujets ne sont sans doute pas nouveaux dans les recommandations mais ils ont le mérite d’être écrits et rappelés.

https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-politiques-publiques-de-prevention-en-sante-au-travail-dans-les-entreprises

Je vous souhaite une bonne lecture. Je suis à l’écoute de vos commentaires et appréciations de l’analyse de la cour des comptes.

Une stagnation inégale des résultats de sinistralité

p10 état des lieux :

« Afin de financer les conséquences d’atteintes à la santé dans le cadre professionnel, les entreprises versent chaque année environ 14 Md€ pour l’essentiel à la branche « accidents du travail et maladies professionnelles » (AT-MP) de la sécurité sociale. Ces régimes indemnisent les victimes sous forme d’indemnités journalières, distinctes des indemnités versées dans le cadre d’arrêt maladie, mais aussi sous forme de capital et de rentes. » –  Ci-après les éléments du rapport Lecocq (2018 08) p.38 : « Le nombre d’accidents du travail est certes à son niveau le plus bas depuis 1946 mais reste désormais globalement stable (618 274 en 2013, 626 227 en 2016) et l’IF, qui est ainsi passé de 118 en 1955 à 38 en 2008, était encore de 35 en 2014. Il est resté sensiblement le même depuis cette date. La tendance à la baisse de la sinistralité s’est donc poursuivie mais subit un net ralentissement, en particulier ces dernières années. A défaut de stagnation on peut bel et bien parler de pallier ».

 Le bilan de l’assurance maladie fait état pour 2021 de plus de 70 millions de jours perdus suite aux événements survenus par le fait ou à l’occasion du travail.

p.11 il est mis en avant que la stagnation apparente de la sinistralité masque des situations très contrastées selon les secteurs. Comme ce qui avait été mis en avant en 2018 à travers le rapport  Grandjean et Lecocq, LA politique de prévention des risques professionnels en France souffre d’un défaut de pilotage et de trop nombreux acteurs engendrant de multiples cloisonnements ainsi qu’un manque d’efficience des budgets affectés.

P58 du rapport Lecocq « La multiplicité des organismes, leurs tutelles et leurs sources de financements différenciés, aboutissent à ce qu’il n’existe pas en France de ligne budgétaire clairement identifiée des fonds directement dédiés à la santé au travail » – pour mémo ci-dessous le rapport Lecocq d’août 2018.

Je me suis arrêté là aux comparaisons tant ce rapport, même s’il a le mérite d’aborder le sujet de la prévention des risques en France sous un nouvel angle reprend ne nombreux constats déjà connus et répétés à l’envie.

Le lien entre « actions de préventions » par les organismes de tutelles et diminution de la sinistralité reste à démontrer (p13). Et il est certains que la multiplicité des acteurs rend la lecture difficile, certainement beaucoup plus que dans une entreprise.

Notoriété et actions des acteurs de la prévention

En entreprise, les acteurs de la prévention ne sont pas connus. Je ne sais pas si vous avez vu ce schéma que je vois peu évoluer depuis 25 ans si ce ne sont quelques changements de nom. La cour des comptes l’a remis à jour à l’occasion de ce rapport.

Lorsque je teste les connaissances sur ce sujet auprès des entreprises, que soit des managers ou des opérateurs de premiers rang, les éléments sont toujours incomplets. Ensuite viennent les rôles et missions de chacun où il devient beaucoup plus compliqué de différencier services de santé / ARACT et CARSAT sur les missions de prévention. Les services de santé et de prévention sont restés « médecine du travail » pour la majorité des entreprises.

Ce constat est confirmé par la CNC p32 « Selon le sondage (…) réalisé pour la Cnam, à la question « Quels sont tous les organismes chargés de la prévention des risques professionnels que vous connaissez, ne serait-ce que de nom ? », moins d’un responsable interrogé sur deux a été capable de citer un des acteurs publics de la prévention et 30 % des responsables de ces sujets au sein des entreprises n’ont pu citer aucun acteur. Seuls les services de santé au travail (désignés aussi spontanément comme « la médecine du travail ») atteignent plus de 15 % de notoriété ». Le bilan des PRST (plan régionaux déclinés sur la base du PNST 3) est plus que mitigé

« Au plan régional, nombre d’actions planifiées n’ont pu être mises en œuvre, pour des raisons multiples: retrait, en cours de plan, des pilotes identifiés pour les conduire ; temps important passé à élaborer le détail des actions au détriment du temps consacré à leur mise en pratique ; conception d’outils de sensibilisation/diagnostic sans capacité réelle de déploiement ni d’évaluation ; insuffisantes retombées des actions au-delà des partenaires, voire défaut de diffusion de certains livrables, enfin manque de temps disponible des équipes pour assurer le suivi d’actions trop nombreuses. »

Pour avoir participé au PRST3 en Pays de la Loire, il est vrai que le dialogue social montre ses limites dans les compromis et le peu d’entrain à l’expérimentation. Une autre limite est le pilotage par la DREETS, même si ce choix est compréhensible sur l’aspect tutélaire du plan, la perception de ces services peut inciter à la prudence de discours. Et que dire du déploiement d’un plan sans aucun moyen humain ni financier (ou si peu). Si je sors du réseau des acteurs ayant participé activement (groupes de travail, rencontres, …) à ce plan régional, je suis certain que la grande majorité des entreprises n’en a jamais entendu parlé !

les services de prévention – santé au travail

Ce qui m’a fait réagir vertement dans ce rapport est une phrase portant sur les services de prévention et de santé au travail. Le rapport sur « l’évaluation des services de santé au travail interentreprises (SSTI) » de l’IGAS en février 2020 indique qu’ils étaient au nombre de 235 en 2019, pour un effectif total de 17.300 professionnels dont 4.500 médecins du travail.

« Il a été constaté que les services de santé au travail relayaient insuffisamment les outils de l’institut national de recherche et de sécurité ou ceux du réseau de l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, voire recréaient des outils pré-existants. »

C’est là l’un des maux de fond de la prévention des risques, les outils existent et pourtant ils sont copiés pour être modifiés puis réappropriés voire « revendus » sous un autre cartouche. Plutôt que consolider les informations et construire des outils de qualité mutualisés, les, désormais, services de prévention et de santé au travail (SPSTI) jouent globalement « cavalier seul » et perdent une énergie folle. On peut néanmoins valoriser des bonnes pratiques comme la veille organisée par le réseau « Présanse » en Pays de la Loire ou des fonctions expertes mutualisées comme la toxicologie.

ci-dessous, pour mémo, rapport de l’IGAS de février 2020

L’émergence des acteurs privés pour une approche systémique de la prévention

P47 « Face à ce cloisonnement, l’approche plus globale de la prévention en santé au travail est déjà une réalité dans l’offre de certains acteurs privés de la protection sociale et de la prévoyance, qui peuvent considérer avoir une légitimité à s’investir dans ce domaine dans la mesure où ils prennent à leur charge des prestations complémentaires en cas de sinistre. Certes, les outils, les ambitions et les objectifs de leurs offres commerciales diffèrent considérablement de la prévention proposée par les entités publiques. Ces offres ne visent en pratique que des entreprises de grande taille et déjà matures sur ces sujets. Mais ils convient de veiller à ce qu’elles ne fassent pas passer à plus ou moins brève échéance les modes d’action des administrations publiques pour obsolètes et décalés »

A l’instar du MEDEF qui est très attentif à cette privatisation de la prévention et semble s’y opposer, cette prise de position révèle l’incapacité de nos partenaires sociaux à passer le cap de la discussion comme nos politiques de trancher dans les habitudes pour gagner en efficience pour la prévention des risques. Considérant la prévention des risques comme chasse gardée des partenaires sociaux et du législateur, notre modèle, en dehors de l’OPPBTP, est trop « hors-sol » pour être efficace.

Quoi de pire que d’assister à une conférence où les différents acteurs plutôt que mettre en avant leurs complémentarités étalent leurs divergences et cela face à un public d’entrepreneurs. (c’est du vécu lors d’une conférence autour de la pénibilité et le sujet de la QVT il y a quelques années)

Le rapport est long mais pas ennuyeux, il vous semblera peut-être basé sur des éléments que vous connaissez et je pense qu’il a le mérite de ré-écrire ces éléments. Il se scinde en deux parties qui débouchent chacune sur 5 recommandations (ci-dessous). Je me garderai de critiquer les comparaisons aux systèmes étrangers qui sont toujours à prendre avec beaucoup de précautions tant les systèmes déclaratifs et assurantiels sont différents.

Quelles recommandations ?

  1. mettre l’accent, dans les plans en santé au travail sur les actions qui exigent un effort de coordination entre les acteurs institutionnels concernés et renforcer le pilotage de celles-ci (ministère chargé du travail) ;
  2. mieux prendre en compte la sinistralité élevée propre à certaines filières et populations pour l’intégrer pleinement dans le ciblage des orientations nationales des actions de prévention (ministère chargé du travail, Cnam-DRP) ;
  3. définir une stratégie de partage ciblé de données entre santé au travail et santé publique au profit d’une meilleure prévention (ministères chargés du travail et de la santé, Cnam, Santé Publique France) ;
  4. définir les priorités de prévention, en termes de risques et d’entreprises ciblées, en tenant compte de l’impact financier des sinistres sur l’ensemble des branches de la sécurité sociale (ministère chargé du travail, Cnam-DRP) ;
  5. assurer une plus grande continuité du calendrier et des objectifs de la convention d’objectifs et de gestion de la branche accidents du travail-maladies professionnelles entre l’État et la Cnam avec ceux du plan sur la santé au travail, afin de permettre l’évaluation complète de celui-ci (ministères chargés de la sécurité sociale et du travail, Cnam-DRP).
  6. accentuer, dans la contractualisation des services du ministère du  travail et des Carsat avec  les services de prévention et de santé au travail, le volet relatif au développement de l’activité de prévention dans les entreprises (ministère chargé du travail) ;
  7. rendre la tarification plus incitative à la prévention des accidents du travail, en majorant les taux de cotisation lorsque l’entreprise présente une sinistralité anormalement élevée dans son domaine d’activité (Cnam-DRP, recommandation réitérée) ;
  8. poursuivre les travaux d’évaluation permettant d’apprécier de manière robuste l’efficacité des programmes de prévention (ministère chargé du travail, Cnam-DRP, CCMSA, Santé Publique France) ;
  9. rendre plus efficace l’accompagnement à la reprise du travail par une intervention très précoce auprès des salariés, en lien avec leur médecin traitant, en associant durant l’arrêt de travail l’employeur et les services de santé au travail (ministère chargé du travail, Cnam, recommandation réitérée) ;
  10. mettre en œuvre sans tarder un programme de contrôle du respect par les employeurs de leurs obligations relatives au compte professionnel de prévention (ministère chargé du travail, Cnam-DRP).

Un bien beau programme qui confirme ce que l’on sait depuis plus de dix ans. Chacune des réformes se heurte aux pouvoirs en place. Chacun veut pouvoir sortir premier d’une nouvelle organisation éventuelle. l’absence de changement de fond met à mal l’ensemble de la filière prévention au détriment des salariés et des entreprises. Alors que l’investissement en prévention est reconnu pour avoir un ROI plus que positif on préfère travailler en silos plutôt que performer ensemble sur ce sujet.

Jérôme

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