L’interface informatique en entreprise et la santé sécurité au travail

Introduction


Le monde de demain se veut de plus en plus numérique et les outils de digitalisation évoluent rapidement. En 1946, le tout premier ordinateur entièrement électronique, l’ENIAC (Electronic Numeral Integrator And Computer), a été conçu par John Presper Eckert, ingénieur américain, et John William Mauchly, physicien américain [1]. Près de 20 ans plus tard, le premier ordinateur personnel a vu le jour. Dès lors, les fabricants ne cessent d’imaginer et de créer des ordinateurs de plus en plus fins, légers et performants. En quelques années seulement, du premier ordinateur au tout dernier modèle, rien qu’en termes de poids, ce dernier est passé de 30 tonnes à 987 grammes [1 ;2]. L’arrivée des ordinateurs au sein des entreprises a offert un gain de temps non négligeable et donc une augmentation significative de leur productivité.
Au 1er janvier 2022, la population mondiale a atteint 7,9 milliards d’individus. Selon le rapport annuel 2022 sur les comportements du monde connecté, 4,95 milliards d’individus soit 62,5 % de la population mondiale utilisent internet. En 10 ans seulement, la population mondiale a augmenté de 1,2 % et le nombre d’internautes de 32,5 % [3].

La première partie de cette note de synthèse présentera le contexte, les enjeux, la problématique et la réglementation liés à l’apparition de l’informatisation en entreprise et la santé sécurité au travail. La seconde partie détaillera un exemple de cas spécifique au sujet abordé. La troisième partie présentera les solutions pouvant être mises en place pour faciliter le développement du numérique en entreprise, en lien avec la santé et sécurité au travail.

Contexte

Le numérique occupe une place importante dans la société actuelle. Il façonne l’organisation des entreprises et vient succéder à l’archivage traditionnel. De plus en plus d’entreprises transforment leurs processus et leurs modes de communication par la dématérialisation de leurs documents. La dématérialisation a pour objectif de remplacer les supports matériels tels que le papier par un format numérique. Véritable levier de performance, elle impacte les coûts de l’entreprise en réduisant les charges liées à l’utilisation de documents papiers, en optimisant le temps de production et en assurant un appui dans la transition écologique.


Cependant, le coût de certains logiciels ou de matériels performants représente un investissement non négligeable pour certaines entreprises. La protection et la sécurité des données des entreprises peut s’avérer être un inconvénient majeur de la dématérialisation.

Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise énergétique (ADEME), en France, un salarié utilise en moyenne 70 kilogrammes de papier par an [4]. Les entreprises du territoire produisent plus de 900 000 tonnes de déchets de papier chaque année. Une tonne de papier nécessite / produit :

  • 17 arbres,
  • Une consommation de 26 500 litres d’eau
  • 3 barils de pétrole,
  • 4 100 kilowatts
  • et une production de 3 m3 de déchets,

Il est nécessaire de proposer des actions permettant de réduire cette consommation de papier. Le numérique pourrait être une des réponses face à cette pollution. Toutefois, la digitalisation n’est pas sans conséquence sur l’environnement. En effet, elle représente 3,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) et devrait doubler d’ici 2025 [5]. De plus, si Internet était un pays, il serait le troisième pays le plus polluant au monde, derrière la Chine et les Etats-Unis [6]. En 2018, le taux de pénétration d’internet dans le monde était de 73 % en Amérique, 80 % en Europe, 34 % en Afrique avec une augmentation de 20 % en un an et 48 % en Asie du Sud [3]. Une prise en compte des matériels informatiques, des usages ou encore du recyclage des déchets est donc primordiale.

Enjeux


Différents enjeux ressortent lorsque l’on évoque la notion d’informatisation en entreprise [7 ;8 ;9]. Les enjeux sociaux et humains se positionnent en première ligne et comprennent notamment :

  • Le développement des interactions sociales ;
  • La réactivité en termes de mise en place de projets ou d’études ;
  • La réactivité de prestataires extérieurs ;
  • L’organisation et les échanges entre les différents acteurs d’une entreprise.

Ensuite, dans un contexte de RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), l’aspect environnemental devient une véritable préoccupation des entreprises. L’enjeu majeur est ainsi marqué par la réduction de la consommation de papier, d’encre ou encore des fournitures de bureau.


Des enjeux commerciaux entrent également en jeu comme l’utilisation d’indicateurs communs aux entreprises (taux de gravité, taux de fréquence…) afin d’évaluer l’impact de l’accidentologie. Ces enjeux peuvent être un frein notamment dans le cadre d’une démarche RSE, où les entreprises sont de plus en plus vigilantes sur la notion de Santé, Sécurité, Environnement (SSE) auprès de leurs fournisseurs et de leurs transporteurs.


Enfin, d’un point de vue documentaire et matériel, l’informatique permet une meilleure gestion de la documentation. La conservation des archives est assurée par des serveurs ayant des capacités importantes de stockage. Cela permet une facilité de consultation aux utilisateurs (exemple : le Document Unique doit être désormais consultable, a minima, pendant 40 ans).

Problématique


« Comment l’interface informatique peut-elle être utile en santé et sécurité au travail et quelles sont ses limites ? »

Réglementation


Il y a plus de 20 ans, la loi du 13 mars 2000 a permis la reconnaissance de la valeur probante du document électronique, au même titre que le document papier [10]. Le support électronique est tout aussi crédible et qualitatif qu’un support papier, sous certaines conditions :

  • La personne dont émane le document doit pouvoir être identifiée grâce à une signature électronique fiable ;
  • Le document doit être établi et conservé dans des conditions qui garantissent son
    intégrité, sachant que les documents sont soumis à un délai de conservation propre
    à leur type ;
  • Si le document électronique est une copie, il est nécessaire de conserver le document
    original.

En matière de santé et sécurité au travail, depuis janvier 2022, les entreprises relevant du Régime général, quel que soit leur effectif, ont pour obligation de se voir notifier leurs taux de cotisation d’accidents du travail et de maladies professionnelles (AT/MP), sous peine de pénalités [11].  

D’autre part, le 1er janvier 2017, le droit à la déconnexion est entré en vigueur. Cette disposition, issue de la loi El Khomri du 8 août 2016 dite « Loi Travail », est un principe selon lequel un salarié est en droit de ne pas être connecté aux outils numériques de son entreprise [12]. Cette loi doit permettre aux salariés de préserver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Interface informatique : avantages et inconvénients

Le Tableau 1 présente les avantages et les inconvénients liés à l’informatisation en entreprise [13 ;14 ;15].


Tableau 1 : Avantages et inconvénients de la digitalisation en entreprise.

L’apparition de la COVID-19, un cas concret impactant l’ensemble des entreprises

Il y a plus de deux ans, la société tout entière a été marquée par un événement majeur et inattendu : la crise sanitaire liée à la COVID-19. A l’annonce des mesures gouvernementales prises pour tenter d’endiguer cette pandémie, les entreprises ont dû s’adapter et trouver des solutions pour continuer leur activité. L’interface informatique a été un atout considérable, notamment pour communiquer et partager des informations à distance. Un monde virtuel s’est alors ouvert entraînant une accélération de la digitalisation des entreprises dont certaines n’étaient pas préparées ou débutaient tout juste leur transformation numérique. Cela a permis, à tous, de prendre conscience de l’importance de cette digitalisation qui nous suit dans notre vie quotidienne.

Par exemple, le travail à distance a modifié les habitudes et les comportements des travailleurs. Des nouveaux besoins sont apparus nécessitant des compétences différentes. En termes de santé et sécurité au travail, l’humain et son bien-être physique et mental ont réellement été mis au cœur des discussions. Les entreprises ont dû faire face à de nouveaux risques tels que les troubles musculosquelettiques (TMS) du fait du télétravail et d’une sédentarité accrue ou encore des risques psychosociaux liés à l’isolement, à l’interruption des relations sociales… [16]. Rapidement, certaines entreprises se sont adaptées en équipant leurs salariés de sièges de bureau et de souris ergonomiques, ou encore en organisant des plages horaires de travail permettant aux salariés de se déconnecter.

Suite à cette crise sanitaire sans précédent, le retour d’expérience a permis à de nombreuses entreprises de constater que le télétravail pouvait présenter plusieurs avantages, notamment en améliorant la productivité. une partie des entreprise a su évoluer et a continué à proposer cette possibilité en sortie de crise. De ce fait, l’interface informatique est devenue un outil indissociable du travail en entreprise. Il doit être pris en compte lors de l’évaluation des risques professionnels.

Exemple de l’utilisation d’un outil connu et accessible par tous dans une entreprise du secteur du transport routier

Dans le cas de cette entreprise de transport routier située dans l’Orne, le Document Unique est réalisé sous le format Excel. Ce choix garantit aux salariés une facilité d’utilisation et de compréhension de l’outil. En effet, chaque collaborateur, tel qu’un exploitant ou un personnel de l’administration, maîtrise Excel grâce à ses différentes missions. Pour les autres services comprenant les mécaniciens et les conducteurs, un guide est présent pour les accompagner dans la réalisation du document. Cet outil est réalisé par le biais de groupes pluridisciplinaires afin que chacun puisse fournir sa vision sur un poste de travail d’un autre secteur et apporte de nouvelles pistes d’amélioration. L’outil Excel permet à l’utilisateur de créer des graphiques et de les exploiter. L’utilisateur pourra interpréter et utiliser les résultats synthétisés de
l’évaluation des risques par le biais de ces graphiques. Cela permet ainsi, pour les utilisateurs, d’obtenir des supports de communication. Le choix de ce format permet de le rendre disponible sur chaque site de l’entreprise via un ordinateur, un portable ou encore une tablette. Enfin, cet outil peut également être consulté hors-ligne.

Quelles sont les solutions permettant de faciliter l’essor de la digitalisation en entreprise ?

L’Article L4121-1 du Code du travail indique : « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » [17]. Ainsi, il doit prendre en compte, en amont de la mise en place d’outils numériques, les avantages et inconvénients liés à la digitalisation. Avant d’adopter des outils ou de mettre en place une démarche, le management peut proposer des essais et tenir compte des retours d’expérience des salariés.

De plus, en termes de préservation de la santé mentale, il pourrait être envisagé la mise en place de créneaux pour la gestion des informations, en imposant, par exemple, des durées de consultation des différents outils. Si le salarié est en télétravail, l’employeur peut également lui assigner des plages horaires qu’il est tenu de respecter.

D’autre part, une des erreurs des entreprises est de vouloir transposer les outils qu’elles avaient au format papier en format numérique. l’interface changeant, il faut penser autrement et adapter l’outil pour qu’il reste simple, intuitif, ergonomique et facilement utilisable par tous.

Enfin, en se fondant sur les principes généraux de prévention, l’employeur doit proposer une formation, concernant les compétences numériques, aux salariés qui en manifestent la nécessité.

Conclusion

Les entreprises actuelles n’ont jamais été autant impactées par la transformation numérique. En tant qu’hygiéniste du travail et de l’environnement, l’utilisation du digital permet d’améliorer efficacement la mise en œuvre de la santé sécurité au travail. Indéniablement, c’est un gain de temps et cela permet un accès rapide aux obligations à respecter, aux actions à prioriser et à mettre en place et au partage d’informations avec les différents services de l’entreprise ou encore avec les prestataires extérieurs. Par exemple, il parait inconcevable, à l’heure actuelle, de réaliser un document unique sur papier. De nombreux outils existent et de plus en plus de logiciels se développent afin de condenser l’ensemble des documents en santé et sécurité au travail sur une interface centrale et intuitive, le pilotage en étant grandement amélioré ainsi que la charge de travail de l’hygiéniste. Cela permet de se concentrer pleinement sur les problématiques en SST en entreprise.

Notes personnelles : s’il est vrai que le document unique semble désuet sous un format papier, je pense que revenir de temps à autres sur un format plus contraint aurait des avantages : – limiter le nombre de facteurs pris en compte dans l’évaluation es risques ; – revenir à un support plus lisible en limitant les coefficients « correcteurs » du risque, – assurer une lisibilité sur un format A4 voire A3.

En complément, le support informatique n’a pas forcément simplifié le document unique, je pense même qu’il l’a complexifié. Il suffit à chaque préventeur de faire le tour des logiciels d’évaluation des risques sur le marché. Aucun ne met en avant sa simplicité mais bien plutôt un côté usine à gaz. en cela l’informatique peut parfois contribuer à l’utilisateur de professionnaliser un support qui devrait être accessible à toutes et tous. c’est un point d’attention qu’il convient de garder en mémoire.

Jérôme en association à Virginie CABELGUEN, Claire GAUTIER, Justine GERVEREAU, Kévin PIERRE.

Bibliographie

[1]. Techno-Science.net. Histoire de l’informatique – Définition et Explications. Consulté le 12 mars 2022.


[2]. Frandroid. HP Pavilion Aero 13 : voici l’ordinateur portable le plus léger au monde (selon son créateur). Consulté le 12 mars 2022.


[3]. Data reportal. Digital 2022 : Global overview report. The essential guide to the world’s connected behaviours. Janvier 2022. Consulté le 13 mai 2022.


[4]. Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Au quotidien. ecoresponsable au bureau. Actions efficaces et bonnes résolutions. Juin 2020.


[5]. Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Numérique responsable : et si nous adoptions les bons réflexes ? Dossier de presse. 19 janvier 2022. Consulté le 12 mars 2022.


[6]. Grizzlead. L’impact de la pollution numérique. 60 chiffres. L’incroyable impact de la pollution numérique et les bonnes pratiques à adopter très vite ! 18 juin 2021. Consulté le 12 mars 2022.


[7]. Faculté d’économie et de gestion. Aix-Marseille Université. Mémoire : L’influence de l’usage des outils numériques sur le travail. Année 2016-2017. Consulté le 28 mars 2022.


[8]. Plateforme RSE (Responsabilité sociétale des entreprises), France Stratégie (Evaluer, Anticiper, Débattre, Proposer). Responsabilité numérique des entreprises. Synthèse. Mai 2021. Consulté le 28 mars 2022.


[9]. Légifrance, le service public de la diffusion du droit. Décret n°2022-487 du 5 avril 2022 relatif au cahier des charges du déploiement et du fonctionnement du portail numérique de conservation du document unique d’évaluation des risques professionnels et aux statuts de l’organisme gestionnaire du portail. Consulté le 28 mars 2022.


[10]. Légifrance, le service public de la diffusion du droit. LOI n°2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique. Consulté le 28 mars 2022.


[11]. Légifrance, le service public de la diffusion du droit. Décret n°2020-1232 du 8 octobre 2020 généralisant la dématérialisation des notifications des décisions relatives au taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles et au classement des risques dans les différentes catégories. Consulté le 28 mars 2022.


[12]. Légifrance, le service public de la diffusion du droit. LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Consulté le 28 mars 2022.

[13]. Les Echos Solutions. Comment le numérique change-t-il l’environnement de travail ? 20 mars 2020. Consulté le 5 avril 2022.


[14]. Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES).
DARES analyses. Quels liens entre les usages professionnels des outils numériques et les conditions de travail ? n°029; Juin 2018. Consulté le 5 avril 2022.


[15]. Officiel Prévention. Santé et sécurité au travail. Responsables HSE, QSE, QHSE :
pourquoi passer au digital ? Consulté le 5 avril 2022.


[16]. Institut national de recherche et de sécurité (INRS). COVID-19 et prévention en
entreprise. Du télétravail imposé en situation exceptionnelle à un télétravail qui se prolonge. Novembre 2020. Consulté le 7 avril 2022.


[17]. Légifrance, le service public de la diffusion du droit. Code du travail. Chapitre Ier : Obligations de l’employeur. Article L4121-1. Consulté le 7 avril 2022.

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