L’objectif zéro AT est-il dépassé ?

L’objectif zéro AT est-il dépassé ?

 

Porté par les entreprises américaines à l’origine, cet objectif zéro AT trouve son origine dans un contexte socio-économique et culturel non européen.. Les fondements sont également à chercher plutôt du côté des entreprise à risques de type ICPE SEVESO et, ou, de process continu.

Ces entreprises, ont très souvent, pour point commun, que la sécurité de leurs installations est primordiale (risque incendie – explosion majeure avec conséquences sur les populations et, ou, impact fort sur l’environnement).

Dans ses environnements professionnels, on peut aisément mettre l’exigence de sécurité au même niveau que l’exigence sanitaire en pharmaceutique ou agro-alimentaire avec une matière à risque de contamination (lait, viande,…) – on parle de sécurité sanitaire ! – les événements plus ou moins médiatisés dans les IAA sont réguliers, chaque mois on trouve des dysfonctionnements relayés par la presse…

Ces sont des installations ou, généralement, le terme sécurité industrielle se confond avec la sécurité des personnes. Un accident majeur peut avoir pour conséquences un, voire plusieurs morts. Dans ce cadre, la tolérance zéro sur les dérives de conduite et ces objectifs de zéro AT sont des exigences compréhensibles. Les process et flux étant pilotés par du hardware plus ou moins bien développé, on reporte souvent le dysfonctionnement de conduite sur l’Homme. C’est ainsi que la fiabilité humaine est apparue. Lors des E.N.S., qui de l’Homme ou de la machine a failli ?

Ces entreprises ont été les premières à évoluer de l’ère Techniques vers la fiabilité Organisationnelle puis Humaine. Elles ont développé une approche issue des sciences cognitives portant sur les comportements. Pour poser les bases et mieux comprendre ces notions, je peux vous inviter à lire :

Ce sont, quelques ouvrages parmi une belle bibliothèque, pas toujours des plus récents mais qui m’ont aidé à construire mon opinion actuelle.

 

Faire évoluer les comportements vers une standardisation permet, a priori, de partager une perception commune de situations choisies.

Dans les industries, en général, cet objectif est louable. Il se positionne comme un outil complémentaire aux approches techniques et organisationnelles. Cette approche comportementale se trouve mise en œuvre au sein des organisations par des visites  (VCS, VSP,..) de sécurité, quelle qu’en soit sa variante (lien).

A la suite de plusieurs échanges sur cette approche dans l’industrie manufacturière, je vous livre mon avis sur « l’objectif zéro AT ».

Quand je parle d’industrie manufacturière, je pense à toutes ces activités utilisant une main d’œuvre nombreuse pour réaliser des tâches plus ou moins répétitives avec, pour la majorité des cas, un niveau d’exigence de qualité comme de productivité. Nous sommes, dans ce qu’il convient d’appeler, le travail au sens plus habituel du terme. Chacun aide à produire de manière concrète, un objet, un produit…

Ces entreprises sont très hétérogènes par leurs métiers, leurs pratiques et leurs positionnements marchés.

Elles sont confrontées à une difficulté de recrutement lié, en partie au désamour des activités manuelles en « usine » et cette image négative transmise depuis de nombreuses années. 

Les conditions de réalisation du travail sont primordiales, elles incluent la sécurité autant que la santé et, j’oserai dire, tous les sujets que l’on positionne aujourd’hui volontiers sous le terme QVT. Leurs vécus santé-sécurité mettent en avant une histoire marquée par les accidents autant que par les impacts sur la santé (bruit, manutention de charges lourdes, répétition de gestes, rythmes de travail en horaires atypiques,…). Aussi, les impacts des accidents sont, pour une part de ses entreprises, moindres sur le moyen-long terme que les problèmes de santé induits par les activités et, ou, les expositions.

Avoir pour objectif zéro AT revient à s’intéresser aux phénomènes ponctuels.

L’un des enjeux de l’entreprise depuis de nombreuses années est le vieillissement des salariés et la difficulté de recrutement en main d’œuvre. Pour limiter ces effets, agir sur les facteurs maîtrisables par l’entreprise (organisation du travail, flux, équipements, GPEC, animations, sens donné au travail,…) a un impact autant sur les événements à court terme que ceux plus éloignés.

Alors qu’à travers les visites de sécurité et la chasse à l’accident on agit sur le court terme, l’engagement vers une vision zéro blessure est porteur pour les sujets de sécurité autant que de santé. La vision zéro accident, approche sémantique me direz-vous, est portée au niveau international.

En novembre 2015, une publication (Success factors for the implementation of a Zero Accident Vision (ZAV) ) portant sur ce sujet est sortie. Ces recherches sont parties de cas concrets d’études auprès de 27 entreprises réparties sur 7 pays européens. En quelques mots, il ressort comme objet principal que les entreprises ayant en ligne de mire, cette vision ont des impacts positifs sur la santé autant que sur la sécurité.

L’objectif zéro AT est trop souvent associé à des objectifs financiers : prime au non accident, objectif individuel de managers, indexation sur l’intéressement, challenge entre équipes autonomes de travail,… On en oublie le vrai challenge de la prévention des risques professionnels qu’est la prévention.

Agir sur le risque en :

  • Mesurant les évolutions des expositions (donc des objectifs de prévention !),
  • Privilégiant les EPC sur les EPI,
  • Accompagnement par la formation sur les risques
  • Ayant une approche collaborative

Je vous illustre cette position d’un exemple concret vécu.

Il me semble déplacé de réaliser une visite sécurité auprès d’un(e) salarié(e) réalisant plus de 30 actions techniques par minute et venir lui parler de rangement, de son positionnement du corps,… alors que l’un des principaux facteurs de risque de MP est présent avec un impact potentiellement plus fort pour la personne et l’entreprise en cas d’arrêt.

Auteur inconnu

C’est pourtant ce à quoi je suis confronté et sur quoi j’accompagne plusieurs entreprises dans ce changement à la fois de vocabulaire et de manière faire. Nous réapprenons ensemble à mesurer et investir avec comme pivot, la valeur humaine. 

Si nous pensons l’industrie du futur et les équipements du futur, pour le moment, nous avons toujours :

 – des conducteurs de PL,

 – des acteurs dans la majorité des industries manufacturières pour réaliser des tâches parfois répétitives,

 – des entrepôts bien qu’automatisés, avec un besoin humain plus ou moins important,

 – des tâches de précisions (électronique en particulier) réalisées par des Homme et des Femmes,…

Vous trouverez, ci-dessous, l’évolution AT d’un site de 500 personnes qui a construit sa démarche dans une optique vision zéro. Aussi en quelques années, le nombre d’AT a été divisé par sept et les maladies professionnelles suivent le même chemin. Je les accompagne depuis quelques temps à mieux comprendre les leviers qui peuvent être renforcés / activés.

évolution des ATAA d'un site partenaire de GRIPHE

Le discours évolue au sein des managers sur l’accident (événement ponctuel) vs la santé (durabilité). Nous sommes dans une démarche où je retrouve les enseignements portés lors de ma découverte de l’HSE en IUT à Colmar au milieu des années 90. Hors d’une approche systémique et partagée (non imposée), les résultats en Tf peuvent être difficiles à maintenir sur le long terme et surtout cacher des éléments beaucoup plus néfastes pour l’entreprise et ses équipes.

Aussi, je suis convaincu que l’objectif zéro AT est un excès de langage dangereux au sein des organisations manufacturières. L’enjeu, bien au-delà des AT, est la préservation de la santé sur le long terme d’une organisation, qu’elle soit privée ou publique. vous comprendrez sans doute mieux pourquoi je parle volontiers de culture de prévention et non de culture de sécurité… l’un est réellement ambitieux, le second est restrictif !

Oublier cela, c’est s’exposer à une absentéisme certain et incompréhensible pour la plupart.

Au plaisir de vous lire

 

 

Jérôme

 

P.S. je vous incite à prendre connaissance de la vision zéro développée par l’AISS.

démarche vision zéro en lien avec GRIPHE

 

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