Quelle confiance dans les experts ? la compétence mise à mal par les réseaux sociaux et les fausses croyances …
Quelle aventure que cet incendie à proximité de Rouen.
- On y entend plus les détracteurs de l’industrie que les salariés touchés directement par ce drame.
- On y entend plus les associations de protection de l’environnement que les pompiers qui ont œuvré de longues heures.
- On y entend plus les politiques au niveau national que les locaux qui ont accordé, au fil des années un plan d’urbanisme amenant les habitations à proximité d’un site SEVESO.
- On écoute plus les non-experts que les faits énoncés par les experts.
- On fait plus confiance aux réseaux sociaux qu’à des médias connus pour la reprise des faits (type France info)
La dimension de gestion de crise devient passionnelle. Elle est complexifiée par une communication rendue plus difficile que dans les années 90 et 2000 par l’avènement de réseaux sociaux quasi incontrôlables. Ces réseaux sont désormais considérés comme experts alors qu’ils sont les reflets des imaginaires le plus improbables. Il faut faire de l’audience, ainsi les auteurs de « fake news » ont un formidable terrain de jeu. Les groupes privés ou non tournent en vase clos et créent leur propre vérité. Elle n’a de fondement que les affirmations des membres les plus virulents. Et lorsque vous confrontez la réalité basée sur des faits, la croyance du groupe rend impossible sa prise en compte.
Et non, le nuage de Tchernobyl ne s’est pas arrêté à la frontière allemande.
C’est sans doute le début d’une défiance qui n’a fait que grandir depuis 30 ans à l’égard des politiques dans leurs communications de crise. La crise du sang contaminé puis des hormones de croissance et enfin de l’amiante ont fini de jeter l’opprobre sur nos élus (en particulier les ministres). Un élément s’ajoute à cette perception d’iniquité dans l’absence de la moindre responsabilité reconnue au niveau politique.
Lors de cet incendie malheureux du site Lubrisol de Rouen, les pompiers ont réalisé des mesures locales et relativement éloignées (plusieurs km) dès le lancement d’organisation des secours. Les mesures d’urgence avec des kits relativement complets ont été menées pendant toute la période à risque (des pompiers totalement équipés se sont exposés au plus près de l’incendie). Tous les éléments collectés sont ceux qui ont été transmis en temps réel par les politiques et l’Etat à travers les médias. Et pourtant, alors que certains font leur métier dans ces conditions particulières, on donne la parole à tous ceux qui contestent.
Le sensationnel prévaut sur le factuel.
Les sapeurs-pompiers experts dans ces domaines ont transmis des informations ne montrant pas, au moment des mesures, des éléments d’inquiétudes. Cela ne préjuge en rien des effets d’accumulation et de dépôts parfois importants.
Il reviendra en effet à des toxicologues voire des épidémiologistes d’organiser un suivi massif selon les recueils d’informations qu’ils pourront faire dans les jours et les semaines à venir. Mais en aucun cas, cette décision n’est à prendre à la hâte par des politiques non experts en l’absence de faits.
Je communique peu sur la gestion de crise et plus facilement sur nos perceptions et nos croyances. A travers un événement de ce type, les deux se rejoignent par les dérives de nos croyances « scientifiques » qui sont tout sauf expertes. (J’ose faire la parallèle avec la réforme du lycée où les maths ont carrément disparu des programmes de 1ère pour certains élèves suite à la suppression des filières…la science disparait là où elle devrait être centrale – il y a donc fort à parier que les élucubrations ne vont faire que croître dans les décennies à venir)
Chaque année, l’IRSN publie un baromètre « perception des risques et de la sécurité par les français ». J’invite celles et ceux qui ne connaissent pas ce support à en prendre connaissance (lien vers article 2017 et 2018). A partir d’un document comme celui-ci, il est important de refondre sa gestion de crise en tenant compte des perceptions réelles de la population. Les associations environnementales décriées par beaucoup d’industriels peuvent devenir de véritables alliés en cas de crise (connaissance de l’entreprise et de sa gestion des risques environnementaux par ex.)
La perception des risques est différente selon nos âges, sexes, culture, éducation, … (cf ouvrage de Bruno CHAUVIN). L’impact d’un sinistre industriel nous touche donc de diverses manières.
Les suies d’un événement comme la semaine passée sont-elles dangereuses pour l’Homme ? je n’ai pas d’avis.
Et sans polémique aucune,
- Les français se mettent encore en danger tous les jours sur la route, résultat : 3259 décès en 2018
- Les accidents domestiques sont la cause de 18 à 20.000 décès chaque année
- L’alcool et le tabac : 110.000 décès prématurés par an
Des cancérogènes communs que sont les carburants sont manipulés très souvent par chacun(e) de nous avec peu de ports de gants au sein des stations…
Alors oui, il est inacceptable d’avoir un sinistre aussi important à proximité d’une zone pavillonnaire. Oui ce site était présent avant la plupart des habitations aux alentours. Oui des permis de construire ont été acceptés localement et aucun service de l’Etat n’y a trouver à redire. Oui, l’Etat s’est désengagé des instructions de permis de construire depuis quelques années. Non, l’industrie ne doit pas être le bouc émissaire d’un événement de ce type. Non, nos experts scientifiques ne sont pas des menteurs !
Nos comportements sont à risques tous les jours, nous nous mettons en situation de presqu’accident quasi-quotidiennement. Pour autant nous continuons à expérimenter tous les jours sans conscience du risque (peut-être sans vouloir le voir).
Si les craintes sont légitimes, laissons l’expertise et la parole aux experts pourvu que cette langue ne soit pas de bois.
Belle semaine à toutes et à tous
Jerome